Jacques Balutin: sa vie est un boulevard
De retour à Bruxelles, Jacques Balutin, 75 ans, avoue toujours autant s’amuser sur scène. Ce papy fait de l’heureuse résistance. Rencontre avec un éternel amuseur.
Une quarantaine de films, qui n’incitent pas à la mélancolie, et autant de pièces de boulevard qui vous regonflent le moral… rencontrer Jacques Balutin, c’est absorber une bonne dose de vitalité et d’optimisme pour faire un sort à l’hiver. Le revoilà prêt à assumer son contrat de rires full options avec son public dans C’est pas le moment. «J’y campe un homme plutôt aisé qui, un soir, renverse un SDF et qui a la mauvaise idée de le ramener chez lui. Tout va ensuite aller de travers: sa femme est à la maison, il a autrefois connu ce SDF, il avait prétexté un rendez-vous d’affaires alors qu’il se rendait chez sa maîtresse. Enfin bref… ce n’était pas le moment!»
Ambiance… Balutin s’amuse comme un gamin. Fatigué, lui? Jamais! Il avale des km à vélo dans les Alpilles avec son copain Michel Drucker et, à Paris, il pédale trois fois par semaine à Longchamps «sauf quand il pleut». Il mettra même peut-être sa bécane dans le camion de la tournée pour rouler à Bruxelles. Notre capitale, il connaît. «Je suis un habitué de La Taverne du Passage et pour cause, j’ai beaucoup joué aux Galeries. Et puis j’ai rencontré ma femme Olivia ici. Elle menait des études de piano et je l’ai croisée la toute première fois au fond des Galeries Louise il y a 38 ans. Notre histoire d’amour dure toujours.» Balutin regorge de souvenirs bruxellois. Le plus extravagant le ramène à L’Ancienne Belgique avec Francis Blanche. «Un soir, Francis m’emmène au bar de l’AB. On s’installe. Francis passe commande: deux Martini, s’il vous plaît. Le garçon nous sert. Francis voit le petit pot de lait traînant sur le comptoir et le vide dans notre apéritif. «À la tienne Jacquot!» Il a fallu jouer le jeu, faire croire qu’en France la mode était au Martini lait, rien que de très normal, et vider nos verres. C’était du Francis tout craché: il savait créer n’importe quelle situation cocasse à partir de rien!»
Balutin, on ne l’appelle pas Balutin. Ses amis le nomment Jacquot ou Balu. Il vit face à Roland Garros, entre les appartements de Robert Lamoureux et de Jean-Pierre Marielle. Lamoureux parti, Balutin n’exprime que des regrets: «Il avait commencé à m’écrire une pièce qui ne verra jamais le jour. L’histoire d’un patron pris en otage par ses ouvrières. Robert avait le nez d’imaginer des comédies qui, très vite, ne manquaient pas de se produire dans la vie réelle. Il était prémonitoire sous des dehors d’auteur comique.» Balutin avait joué sous les ordres de Lamoureux. Il est de la rangée des Amadou et assimilés, ceux qui tirent les mots vers le haut…
«Il me faut cinq jours pour maîtriser une pièce»
On s’incline devant un tel métier. Balutin est un orfèvre de la bonne réplique, un coureur de fond pour comédie de boulevard. Il sent la salle, ses moindres frémissements, ses réserves, ses hésitations. «Je dois d’abord rire moi-même à la lecture d’un texte avant d’accepter de le jouer, confie-t-il à table où il s’installe par pure politesse puisqu’il dîne toujours après la représentation, une fois par jour, pas plus, mais avec appétit. On ne doit jamais tromper le public sur notre promesse de le faire rire. Il faut honorer cette promesse. Une fois dans ma vie, j’avais accepté un rôle dramatique dans Cousin Michel, un prisonnier qui s’évade parce qu’il ne supporte pas que sa femme demande le divorce et veut l’en empêcher. Personne n’a compris. Dans l’esprit de mes fans, je suis là pour distraire et les détendre du début à la fin.»
Balutin accepte volontiers cette étiquette. Parce qu’il sait jouer de sa voix, cette voix qu’il prêta à Paul Michael Glaser, alias Starky dans Starksy et Hutch ou encore pour vanter avec force les thés de l’Éléphant dont l’usine (aux mains du géant Unilever) agonise à Marseille. Ensuite parce qu’il prend possession de son rôle comme un compagnon du tour de France dont les outils seraient les répliques dûment ajustées. «J’ai joué 1.500 fois On dînera au lit, 700 fois Si je peux me permettre. Les spectateurs, il faut qu’on les ait sur les genoux, qu’on les tienne sans plus les lâcher. En fait, ce n’est pas si compliqué. Je mets environ cinq jours, une fois que la pièce est lancée sur scène, pour la maîtrise, pas plus. C’est mon métier, non? Parfois j’en mets trop car je suis généreux de nature. Alors, je laisse un peu respirer la salle…» Jacques Balutin jouera cette fois avec Manuel Gélin. Avec lui, c’est toujours le bon moment!